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La poétesse

Yvette Frontenac a rencontré les poètes à l'école primaire qu'elle a dû quitter à 12 ans avec le Certificat d'Etudes. C'étaient les poètes classiques, Victor Hugo en tête car, dans les années 30, pas de poètes modernes au programme, même si les Surréalistes étaient bien vivants.

La forme poétique lui a parlé tout de suite et c'est en pensant aux beaux textes des grands anciens appris en classe que lui est né le premier poème, un jour d'hiver 1940 à l'âge de 15 ans.

Le chef d'état était alors le maréchal Pétain (hélas pour la France)  mais c'est donc à lui que l'institutrice envoya le poème dans le cadre des activités de la société post-scolaire. Yvette reçut un mot de  félicitations en retour.

 

 

La légende de Frontenac

 

Voulez-vous connaître l’histoire

D’un petit village lotois

Qui dort tranquille, que rien n’effare,

Posé dans les prés et les bois ?

Frontenac, d’après la légende ,

Par l’ennemi fut repoussé.

On le reconnut front tenace,

Et l’adversaire pourchassé

Mit l’épithète bien en place

Puisque nous l’avons conservé.

Il cachait toujours sa victoire

Parmi les bosquets verdoyants

Qui furent témoins de sa gloire

Pendant la Guerre de Cent Ans.

Mais aujourd’hui je vous la donne

Cette histoire longtemps cachée.

Que mon village me pardonne

Si je divulgue son secret.

Et quand j’entends la vieille cloche

Egrener ses sons sur les toits,

Je crois entendre comme un reproche

        Dans cette bonne grosse voix.        

 

 

 

C'est donc à la manière classique, celle qui avait éduqué ses jeunes oreilles,  que furent composés la plupart de ses poèmes, et elle n'eut pas  la chance de poursuivre des études qui lui auraient apporté une ouverture sur d'autres formes poétiques.

Elle regroupa la plupart de ses poèmes  en deux recueils: Les Sabots verts et Brasero.

Jamais édités dans leur ensemble, beaucoup de ses textes furent publiés dans des magazines, comme "Les Bonnes Soirées" ou "Veillées des chaumières", périodiques des années 50-60, ou dans des bulletins de sociétés poétiques ou de Clubs des Aînés, et lui valurent quelques modestes prix.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L'un de ses poèmes eut même droit à plusieurs parutions: dans "Bonnes soirées"  avec l'illustration ci-dessous en 1962, dans "Veillées des chaumières" en 61 ou 62 et il fut  remarqué par l'association"Le petit épicier" à Paris grâce à son sujet traité avec humour. Il fut même publié beaucoup plus tard dans un Bulletin de la Sécurité Sociale, page reproduite ci-dessous.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

C'est le séjour de 6 ans en Sologne, qu'Yvette vécut avec le mal du pays, qui déclencha le premier flot de poèmes

où elle épanchait sa nostalgie pour les paysages natals. Ce manque était si envahissant que son inspiration ne

fut jamais disponible pour des poèmes célébrant le pays d'accueil et ses beautés bien réelles aussi.

La complainte de l’ennui

 

 

Savez-vous de quoi je m’ennuie,

Si loin du pays que j’aime,

Et pour qui j’écris ce frugal poème?

Savez-vous de quoi je m’ennuie?

 

Je me languis de mon village,

Des prés, des bois, du vieux ruisseau

Qui babille sous les ormeaux.

Je me languis de mon village.

 

Je pense à la maison natale

Dressée sur cette vieille terre

Qui m’a nourrie comme une mère.

Je pense à la maison natale.

 

Je rêve à la petite église,

A la flèche de son clocher

Dont les sons viennent me hanter.

Je rêve à la petite église.

 

Rocailles grises, vieilles maisons,

Chemins pierreux du bourg natal,

Air si pur en toute saison…

Loin de vous, mon cœur a si mal…

La petite source

 

 

Petit Pesquier de mon village,

Enseveli sous les ombrages,

J’entends encore ton babillage

Si doux, si doux.

 

Entre deux rocs vêtus de lierre,

Tu nous arrives en grand mystère,

Puis un instant tu vas, tu erres

Tout doux, tout doux.

 

Au temps de mes jeunes années,

J’allais sous ta fraîche coulée

Remplir ma cruche éclaboussée

Tout doux, tout doux.

 

Et comme revient l’hirondelle

A son vieux nid toujours fidèle,

J’irai revoir ta cascatelle

Tout doux, tout doux.

 

Car toujours tu nous resteras

Chuchotant dans le vert feuillage

Et nous, toujours on t’aimera,

Petit Pesquier de mon village.

                                                                               Paru dans Bonnes soirées en 1953

Après son retour dans le Lot, et tout au long de sa vie, elle continua d'écrire de nombreux poèmes toujours sur

son village,  la nature, les saisons,  des personnages ou des animaux; des poèmes pour ses enfants, pour des

gens de sa famille, notamment pour son beau-frère Aimé qu'elle affectionnait. Elle écrivait  aux personnes

de sa famille et joignait souvent à sa prose un poème vite troussé.

Comme pour ses romans, elle pouvait mettre en scène des personnages réels du village, comme dans le suivant.

Zoé

 

Regardez-la passer, rentrant dans sa tanière,

Un monde de douleurs est inscrit dans ses yeux.

Chancelante et brisée, suant un air de vieux,

Elle revient du cimetière.

 

Ses pauvres petits pieds traînent dans le chemin,

Mais qu’importe. Il lui faut sa triste promenade,

Tant pis si dans l’effort, son cœur bat la chamade,

Si le bâton tremble dans sa main.

 

C’est qu’elle s’ennuie tant dans sa pauvre masure,

Depuis que, pour aller dormir sous les orties,

Tous ceux qu’elle a aimés un jour en sont sortis.

La mort lui mène la vie dure.

 

Pourquoi tant la frapper? pourquoi tout lui ravir?

Un époux, puis un fils, tous deux au plus bel âge,

Une fille aux beaux yeux qui était bonne et sage

Et qui n’est plus qu’un souvenir.

 

Elle a tant survécu avec ce glaive au cœur,

Tant pleuré, tant gémi dans cette solitude,

Qu’elle voudrait partir loin des vicissitudes,

Vers un monde qu’elle croit meilleur.

 

Personne ne l’attend, là-bas dans sa maison,

A quoi bon revenir toujours du cimetière

Quand on serait si bien, allongée sous la pierre,

Pour laisser couler les saisons?

                                                                                                                                                       1967

Fin de jour aux champs

 

La colline, là-haut, a mangé le soleil.

La plaine violacée où le brabant s’arrête

Suspend une fraîcheur à chaque front vermeil.

Le vieux chapeau déteint a libéré les têtes.

 

L’attelage embué souffle comme une forge…

Les peupliers, un à un, ont éteint leurs flambeaux.

L’engoulevent s’éveille, et le dernier corbeau

S’envole lourdement, gavé jusqu’à la gorge.

 

La chouette perchée sur le vieil orme grêle

Se laisse ébouriffer par la brise du soir.

Les bœufs n’ont pas besoin que l’homme les appelle

Pour marcher d’un pas sûr vers les frais abreuvoirs.

 

Et chantent les chemins sous les roues qui cahotent.

Dans l’ombre, tout le jour, froids comme des serpents,

Ils ont guetté Marie et son pied qui sabote,

L’homme qui, débraillé, revient de son arpent.

 

Au loin, quelques points d’or clignotent dans le noir…

Pour que demain, aux champs, on revienne se battre,

Une femme harassée s’active auprès de l’âtre

Et cueille l’écuelle aux flancs du vieux dressoir.

                                                                                                                                                                  1989

Le doux chant de mon pays

 

Chante pour moi, beau causse fier,

Chante pour moi, si douce plaine,

Chantez tous deux, mes autrefois.

A travers vous, à perdre haleine,

Ont claqué mes sabots de bois.

 

En vous dorment tous mes hiers.

Ne dorment pas, veillent à peine.

Il me suffit d’un rien de peine,

Ils surgissent tous rajeunis,

Aussi loin que j’ai fait mon nid.

 

Jasez, ruisseaux, dans les aubiers,

Mes moulinets, j’y vois encore.

Mais il s’est tant levé d’aurores

Qu’au fil de l’eau s’en sont allés

Ma jeunesse et moulins ailés.

 

Flûtez, loriots, dans les peupliers,

Bruissez, moissons, sous le ciel tendre.

Voix du terroir, pour vous entendre,

J’en capte l’onde à tout moment,

C’est mon aura, mon firmament.

 

Bêlez, troupeaux, dans les pacages.

Vos visions, je n’ai point bannies,

Vos chères décalcomanies,

Plus colorées que des images,

Dans mes pensées restent en cage.

                                                                                                                           1968

Printemps

 

La jolie prime juvénile

Accourt en fleurs

Car le bonhomme hiver, sénile,

S’éteint et meurt.

 

Mars s’ébroue entre deux rafales

Et l’arc-en-ciel

Zèbre la nue qui se cavale

De ses pastels.

 

Le bourgeon fait pointer son arme

Sur le rosier,

La gouttière écrase une larme

Sur l’escalier.

 

Au sous-bois, dans le crépuscule,

Le merle fou,

Ivre d’amour, siffle et module

Ses billets doux.

 

Au Pesquier, mignonne sourcette,

Claire et menue,

Sait que pinsons, bergeronnettes

Sont revenus.

 

L’enfant glane la primevère,

Clochettes d’or,

Et l’hirondelle, messagère,

Reprend l’essor.

 

Partout naissent verdure tendre,

Joyeux babils,

Et partout le plaisir d’attendre

   Le bel Avril.   

                                                                                                                                 1967   

Laveuses d’antan

 

Sous les glauques auvents des saules prosternés,

J’ai voulu retrouver la rumeur des laveuses,

Le jupon retroussé des serves bienheureuses,

Toutes ployées d’amour sous le chapeau fané.

 

L’autan sème partout les relents du limon,

La plainte continue de la mourante écluse.

Dans ce souffle mouillé, pas un rire ne fuse

Ni l’écho d’un battoir de l’aval à l’amont.

 

Pas le moindre pied nu ne trébuche au gravier,

Un friselis furtif le caresse en silence,

Les caquets ne sont plus, les cris, les véhémences

Et les blancs étendards au bronze des osiers.

 

Sa majesté le Temps a fait fi du tableau:

Les femmes à genoux, l’onde fleurie d’écume,

La danse de leurs doigts sur le linge qui fume,

Le reflet clapotant de leur ombre dans l’eau.

 

Nul ne les reverra dans leur cour d’alevins,

Quand le mauve couchant réveille le moustique.

Relevées à jamais de leur pierre rustique,

Elles dorment, là-bas, dans leur repos divin.

                                                                                                                                                            1985

Rêverie de mes sabots verts

 

Je revois de «Gastou» les vastes solitudes,

La friche où mes salers paissaient nonchalamment,

La vigne à l’agonie et ses maigres sarments.

Si nous y vendangions, c’était par habitude.

 

J’avais seize ans alors: une riche insouciance

Claquait dans mes sabots, pétillait dans mes yeux.

Je me trouvais si bien sous le ciel du Bon Dieu!

Des laideurs de la vie je n’avais la prescience.

 

J’ignorais que ces jours tout remplis de gambades,

De rires étourdis, de jeux avec mon chien,

Embaumés par le temps seraient mon fief, mon bien

Où mon âme, en secret, ferait des escapades.

 

Evocation, tendres miroirs des souvenances,

Grâce à toi je revis de Gastou les soirées,

Où le soleil jouait sur la pomme moirée,

Sur le troupeau repus, figé de somnolence.

 

Il y avait les matins si beaux, pailletés d’or…

Lorsque j’avais trop chaud, j’entrais dans la cazelle.

Dans ses vétustes lieux aux fraîcheurs de chapelle,

Je rêvais. J’étais reine en ces frustes décors.

 

Tout parlait à mon cœur, j’aimais toutes ces choses:

Le ramier au «quizoul», le chanvre caillouteux,

Les vieux pommiers chenus, le champ de sainfoin bleu

Où Guinette, échappée, noyait son mufle rose.

 

Voilà pourquoi, souvent, tendresse ou habitude,

Je revois de Gastou les vastes solitudes.

                                                                                                                                            1967

     

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Premières couleurs au jardin

 

Un rose pétale

Floconne et s’étale

Sur le semis noir.

Le prunier épanche

Une fumée blanche

Comme un encensoir.

L’ail pointe vert pâle,

Le pois en spirale

Quitte le terroir.

 

La tonnelle apprête

Les rouges frisettes

De l’ampélopsis.

Glycine si mauve

A la branche fauve

Suspend ses lacis,

Tandis que violettes

Sèment gouttelettes

D’azur au massif.

 

Se meurt de languine

La lance sanguine,

Sous le gazon vert,

De dame Pivoine

Qui prie Saint-Antoine

D’occire l’hiver…

Là-bas, près du faune,

Mille crocus jaunes

Font un feu d’enfer…

 

Peintures nouvelles,

Fraîches aquarelles

Du jardin fleuri.

En voyant renaître

Ces tableaux de maître

En leur galerie,

Je dis «Que demeure

En arrêt cette heure,

Ah! prisme, souris!»

                                                                                                                                                                   Félicitations particulières de la SPAF Midi-Pyrénées en 1977

La maison perdue

Chère Babel rêvant sur tes blanches murailles,

Tu as cousu sur moi cette cotte de mailles,

Tout un passé fervent impossible à bannir

De ton enfant têtu qui veut se souvenir.

 

J’ai dénoué mes doigts de ces trop tendres choses:

Ton toit bleu, ton ruisseau, ta glycine, tes roses,

Le noyer tout puissant prosterné sur ton seuil,

Ce jardin, cette cour dont j’ai porté le deuil.

 

Il fallut te quitter, céder ce havre à d’autres,

Accepter, désormais, qu’il ne soit plus des nôtres,

Et je m’en fus, traînant mes pas errants et seuls,

Aux portes qui s’ouvraient comme autant de linceuls.

 

En ces âpres exils égrenant mes journées,

Je ne pensais qu’à vous, terres abandonnées.

Vos clichés, en tissant mes songes intérieurs,

Jalonnaient de regrets mes multiples ailleurs.

 

Je vous appelle à moi, tous mes défunts bien-être,

Les visages chéris souriant aux fenêtres,

Attentifs à guetter mes rires ou mes pleurs,

Qui fusaient, emmêlés aux arômes de fleurs.

 

Grappillages furtifs autour de la groseille,

Acides bourrelets des liserés d’oseille,

Lourd relent des tabacs suspendus aux greniers,

Ambre des Reine-Claude, hymne des pruniers.

 

Et la lune cirant ta capuche d’ardoise,

L’effluve de tes prés, de foin coupé, d’armoise,

Tes grillons acharnés en leur félicité,

Tous ces bonheurs vivants, soudain, n’ont plus été…

Depuis, tête en avant, en ma course éperdue,

Je m’en vais cheminant sans la maison perdue.

                                                                                                   

Les poèmes ci-dessus sont tous extraits du recueil "Les Sabots verts" célébrant, comme on l'a vu, l'amour de son village et de ses décors, la nostalgie de sa jeunesse, la beauté de la nature et du changement des saisons, l'amour des animaux, des gens simples.

Yvette Frontenac aborda aussi d'autres thèmes, moins champêtres, et même urbains: les sentiments et émotions humains, l'amour, la séduction, la tristesse, l'amour maternel, les petits plaisirs de la ville....textes divers qu'elle regroupa sous le titre "Brasero".

Le vieux pauvre de ma jeunesse

II n'avait qu'un bissac troué

Qui lui pendait à la carcasse,

Un infâme mouchoir noué

De son cou ne cachait la crasse.

Le ventre creux comme un chemin,

Il allait par monts et par routes

Et s'il tendait sa vieille main,

D'avance il la savait absoute.

Suant le pou et le haillon,

Il errait comme chien qui rôde,

Habité d'espoirs de graillons,

Méticuleux de sa maraude.

Au revers de quelque talus,

L'oeil allumé par la ripaille,

Au son de bien des angélus,

Au quignon il livrait bataille.

La barbiche ondoyant au vent,

Il traînait sa philosophie,

Et c'était un enseignement

De le voir gai et sans envies...

Le temps un jour a emporté

Sur les ailes d'une déesse,

Hâve et fier de sa liberté / Ivre d'air et de liberté,

Le vieux pauvre de ma jeunesse.

 

                                                                                                                                                        1970 - Primé par la SPAF en 1977

 

Nuages

Où allez-vous, petits nuages,

Fiers et dodus comme des pages,

Aux joues rondes de chérubins

Lambins?

Où courez-vous si blancs, si sages

Sans peur des hommes ni des cages,

Au royaume des séraphins

Sans  fin?

Où volez-vous, vers quels nuages?

Mais vous allez vous mettre en nage

Et ruisseler par tous vos plis

De pluie!

Restez ici, petits nuages,

Rengainez grêlons et tapages,

Floconnez et lutinez-vous

Chez nous!

Ma mie, si vous l’aviez voulu…

 

 

Ma mie, si vous l’aviez voulu,

Je ne me serais point pendu,

Belle dame des amours mortes.

 

Je ne me serais point pendu,

Il faisait bon à votre porte

Mais vous avez dit : « Qu’il en sorte ! »

 

Il faisait bon à votre porte

Quand l’amour me servait d’escorte

Pour venir baiser vos beaux yeux.

 

Quand l’amour me servait d’escorte,

Je sacrais : « Le diable m’emporte,

Je suis le plus riche des gueux ! »

 

Je sacrais « Le diable m’emporte »

D’une voix amoureuse et forte

Mais le diable m’a pris au mot.

 

Mamour, ma beauté si accorte,

M’avez trahi de telle sorte

Que j’ai pu monter à l’ormeau.

 

Mon œil ouvert, ma bouche torte

Et mon dernier soupir rendu

Font de votre amant un pendu.

                          

                                                                                                                                                                                    1969- Primé par la SPAF Midi-Pyrénées en 1977

 

Cruelle absence

 

 

Un rien aura suffi, une odeur, un silence,

Des aîtres désertés,

Et retentit en moi cette cruelle absence

Qui me veut habiter.

Il suffit d’un objet qui traîne sur la table,

Tristement esseulé,

Pour que monte un sanglot à mon cœur misérable,

Toujours inconsolé.

Il a suffi d’un air siffloté dans la rue,

Quelques bribes de voix …

Ma peine sur mon seuil aussitôt est parue

En disant « Oui, c’est moi ».

Il suffit de si peu pour que viennent les larmes,

Un rêve, un peu de vent,

Et mon chagrin têtu jette au bonheur un charme

Qui lui fait paravent.

Il ne faudrait pourtant, pour que j’oublie ce pire

En mon cœur dévasté,

Qu’un atome d’espoir, et puis te voir sourire,

Et tout serait clarté.

 

 

 

                                                                                                                                                                                         Primé à la SPAF en décembre 1977

 

 

Les bonnes gens de ma ville

 

 

S’éveillent doucettement,

Les bonnes gens de ma ville,

Au boulot, presque gaiement,

Ils s’en vont d’un pas tranquille.

 

Ils bossent correctement,

Les bonnes gens de ma ville,

Méprisent le rendement

Qui fait faire trop de bile.

 

Agapent modérément,

Les bonnes gens de ma ville,

Les fins de mois, durs moments,

Sont carêmes inutiles.

 

Ils aiment passionnément,

Les bonnes gens de ma ville,

Point avares de serments,

Partout font besogne utile.

 

Se récréent divinement,

Les bonnes gens de ma ville,

Préfèrent l’amusement

A toute corvée servile.

 

Ils meurent si calmement,

Heureux de leur vie fertile,

Qu’ils vont droit au firmament,

Les bonnes gens de ma ville.

 

                                                                                                 1968

 

 

 

Les amants

 

 

Ils vont séparément et sont toujours ensemble,

L’onde qui les unit est un même collier,

L’amour, au fil des jours, les retient prisonniers,

Les mêle, les confond et fait qu’ils se ressemblent.

 

A la face du monde, ils sont deux étrangers,

Ils passent, indifférents, raides et sans malice.

A leurs lèvres meurtries traînent des cicatrices,

Restes d’embrassements où ils furent plongés.

 

 

Le secret d’un bonheur qu’ils ne veulent point dire,

Mais que chacun connaît, le lisant dans leurs yeux,

Ils en font des baisers, divin plaisir des dieux .

Tant pis si des méchants, sur eux, veulent médire.

 

Amants qui vous aimez, vous vivez de chimères,

Vous vous laissez bercer entre leurs tendres bras,

Votre miel butiné aux fleurs de douce-amère

Ravive vos amours et les torturera.

 

Qu’importe si la vie au grand jour vous sépare !

Qu’importe le foyer où quelqu’un vous attend !

Depuis que votre amour a suspendu le temps,

Vous ne vieillissez plus dans votre tour d’ivoire…

 

Ils s’aiment, laissons-les, partons à pas de loup,

Ils ne s’occupent pas de nous…

 

Mes chattes gourmandes

 

Cinq heures ont sonné là-bas, au Chapitre.

Une envie leur vient, on s’étire un peu,

Le soleil couchant incendie la vitre,

C’est l’instant divin des gourmands heureux.

 

Leurs doigts, sautillant sur les porcelaines,

Font des entrechats aux envols gracieux.

De tendres sablés la boîte est si pleine,

La bouilloire chante à côté du feu.

 

Savourant le thé couleur de topaze

Comme le faisaient du nectar les dieux,

Un frisson gourmand sur leur blanc pelage,

Mes chattes ont fermé de plaisir les yeux.

 

Le sablé se meurt entre leurs quenottes,

Mais la pourvoyeuse en rachètera.

Aujourd’hui mourant, happé des menottes,

Demain dans la boîte, à l’heure il sera.

 

Mes chattes jolies, mes chattes gourmandes,

Avec des ronrons ont pris leur goûter.

                                                                                                                                                                            1966- Pour mes filles

La belle et mon jardin

 

 

J’avais des fleurs plein mon jardin,

Des roses couleur de matin,

Des pivoines à chair de satin,

Tu n’avais rien, je t’ai dit « Viens !

 

Viens cueillir de tes bras câlins

Tous ces parfums sans lendemain,

Viens moissonner à pleines mains,

Toi qui n’as rien, la belle, viens ! »

 

Tu n’as eu que froid, que dédain,

Qu’un furtif regard anodin,

Tous mes efforts sont restés vains,

Filles n’aimant plus les jardins.

                                                                                                            1967

Concert

Avec ses volets clos et ses sombres toitures,

Consciente et fatiguée de la tâche accomplie,

Heureuse de sombrer au repos, à l’oubli,

S’endort la sous-préfecture.

 

Phoebé au blanc regard jette un rai sur la place,

Des accords assourdis y vibrent par hoquets,

L’eau qu’argente la lune s’enfuit le long du quai,

Devant moi, un couple s’enlace.

 

Sans bruit, des ombres glissent sous les frais catalpas,

Un fugace reflet allume une trompette,

Là-bas, sous les lampions, le kiosque est à la fête,

L’harmonie s’apprête au combat.

 

Et les lents promeneurs qui font geindre le sable,

Un à un, doucement, sur le mur vont s’asseoir.

Une chauve-souris prospecte l’air du soir,

Les enfants sont insupportables.

 

On bavarde à mi-voix, on scrute les visages.

« Je ne le connais pas, qui est-il, celui-là ?

C’est quelque Parisien en vacances par-là…

Que ces enfants font du tapage ! »

 

La main du chef, soudain, d’un bref signal donné,

Libère enfin le flot qui déferle, magique.

Et coule l’harmonie sur le kiosque à musique,

Délicieusement suranné.

                                                                                                                                    1967- Le kiosque est celui de Figeac bien sûr

Dernière page

« A la manière d’Anna de Noailles »

 

 

Un jour tout sera dit et je ne serai plus.

Je n’aimerai plus rien de tout ce qui m’a plu :

Les amours, la rosée, la bondissante flamme,

Le frais jardin verni qui parlait à mon âme.

Mon regard attentif aux robes des saisons

Ne reflètera plus le vert des frondaisons.

Mon cœur se fermera sur tout ce qui s’élance,

Le printemps chantera, moi je ferai silence.

Le ressort de mes doigts, au geste interrompu,

Se figera soudain. D’animation repu,

Reniera le bouquet peint de chaude nature,

L’effleurement câlin des jeunes chevelures.

Je n’écrirai plus rien au livre refermé,

Le mot fin me sera, par la mort, intimé.

J’aurai tout raconté, tout narré de l’histoire.

Qui aura su m’aimer percevra le grimoire.

Mon corps tout plein d’élans, de rêves, de désirs

Saura se conformer aux ordres de gésir.

Il s’en ira, drapé d’étoffes vulnérables,

Se fondre et devenir l’éternité des sables.

Ces arides néants me seront malaisés.

Ma bouche languira, peut-être, d’un baiser.

Puisse le Créateur qui me voulut si tendre

Permettre qu’au tombeau reste chaude ma cendre.

                                                                                                                                                                                      Texte lu à ses obsèques

Le petit garçon et l’arc-en-ciel

 

 

Je voudrais, maman, passer sous ce pont,

Ce pont rose et bleu qui zèbre la nue,

Je l’ai vu souvent dans le ciel, pendu,

Est-ce que je peux, dis, maman, réponds !

 

Mais oui, t’envoler, tu le peux, trésor,

En glissant sans bruit sur le char du rêve.

Jaillis du néant pour ta course brève

Tes chevaux seront des chimères d’or.

 

Je voudrais, maman, prendre les couleurs

De l’arche irisée qui peint les nuages,

Et t’en colorier de belles images.

Est-ce que je peux, sans être voleur ?

 

Je n’ai pas besoin des couleurs du ciel

Pour collectionner toutes ces merveilles.

Sur terre mes joies n’ont pas leurs pareilles,

C’est toi, mon enfant, mon bel arc-en-ciel.

Un dernier poème sur Figeac de la main même de l'auteur

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

  Parallèlement à son métier d'enseignante, il se trouve que Brigitte, la fille cadette de l'auteur, pratiqua musique et  chanson dès son adolescence, et mit en musique divers poèmes dont ceux de sa mère.

  C'est donc tout naturellement qu'Yvette pensa à écrire un poème pour la sortie de ses romans. Ainsi fut fait en 1991,       1992 et 1993 pour les 3 premiers. Dans les années 90, Brigitte chantait dans un groupe de 2 garçons et 2 filles,   Diapason, et ses amis l'aidèrent à arranger les textes mis en musique. Les voici.

Les années châtaignes

 

J’les ai serrées dans mes mains,

Mes trois années châtaignes,

Pendant ces hiers, ces demains

Tant que ma peau en saigne.

J’les ai tissées brin à brin

Comme toile d’araigne,

Avec une Line à tout crin

Qui m’était une enseigne.

 

J’les ai dansées dans l’entrain

Sans souci que j’enfreigne

Les lois d’la paille et du grain

Pour que vernis m’empreigne.

J’les ai trimées, c’est certain,

Oui ça pique, la châtaigne,

Est-il récent ou lointain

Ce passé où je baigne?

 

J’les ai pleurées dans les coins

Assez pour que j’en geigne,

De r’gret j’ai mordu mon poing,

Oublier, je dédaigne.

J’les tiens serrées dans ma main

Jusqu’à ce que mort daigne

V’nir faucher mon lendemain

Et que lampe s’éteigne.

La chantepleure

 

Souffle innocent qui berce l’heure,

L’enfant joue de la chantepleure,

Pauvre refrain des petits gueux

Qui rit tout en mouillant les yeux.

 

Il nous dit l’herbe vigoureuse,

L’arbre debout, la source heureuse,

Le temps des gaietés, des sanglots,

Nul n’en a remonté les flots.

 

Le sucre d’un fruit sur les lèvres

Et des joies les latentes fièvres,

Le raisin rond de jours vermeils,

Les sortilèges des sommeils,

 

Le maïs dont la plaine flambe

En parade sur une jambe.

Du rondeau des quatre saisons

Nous en chantonne les raisons.

 

Le son fluet pousse son rêve

Et le pipeau pleure sa sève.

Où sont partis ces airs légers

Que sifflaient les petits bergers?

 

Flûtes des enfances fanées,

Cendres de sons, cendres d’années,

Vous passez au vent comme un leurre,

Accords perdus de chantepleure.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les poèmes en musique

Eléonore

Elle s'appelait Eléonore

Et son prénom vibrait sonore,

Tendre et joyeux

Sous les pans bleus de sa toiture

Où se nichaient les bons augures

Des gens heureux

Mais la Gorgone aux ailes noires

En voulant graver dans l'Histoire

Son nom hideux

La dépouilla sans crier gare

De son génie, de son dieu lare,

Coeur valeureux.

Dans les tourments de sa dérive

Où se blessait sa force vive,

Or glorieux,

Se posa, secourable abeille,

Sur les chatons de sa corbeille

La main d'un preux

Qui effeuilla la marguerite

En des je t'aime illicites

D'ambre et de feu

Assemblés en brûlants messages

Qu'elle parcourut page à page,

front radieux.

En dépit de tous les tonnerres,

Du fracas de toutes les guerres,

Vents furieux,

Elle demeura Eléonore

Et son aura subsiste encore

En nos cieux.

  A la sortie du  4e roman, "Populo des Couronnes", l'auteur écrivit un autre texte, mais la musique ne suivit pas  .....   Cependant, Brigitte souhaitait marquer les 10 ans de la disparition de sa mère et avec un nouveau pianiste rencontré   via internet, Guillaume Wilmot, elle put sortir un CD avec des poèmes déjà mis en musique et quelques nouveaux.  Ainsi les "Ballades champêtres" virent-elles le jour début 2009 grâce à des souscripteurs amicaux prêts à  soutenir le projet. On peut y entendre une histoire contée en patois par Yvette elle-même.

 

Un des plus beaux textes d'Yvette Frontenac sur la nature figure dans le CD et la dernière strophe a été choisie  par sa famille pour être gravée sur sa pierre tombale.

Beautés vives

 

 

J’ai vu l’aube rosir le front de la colline,

L’enfance du matin tituber dans le ciel,

La moire de l’iris s’abandonner, câline,

Au baiser du bourdon qui aspirait son miel.

 

L’angélus annonçait qu’il faut que l’aube naisse

Pour qu’un champ labouré chatoie dans le soleil,

Que l’enfant soit rieur et puis que l’agneau paisse

Et que monte au rameau la sève de l’éveil.

 

Un passereau sifflait dans un coin de charmille,

La palme d’un ormeau de bleu peignait la nue,

Le vent dodelinait la foule des ramilles

Et le ru chuchotait qu’il va, trotte-menu.

 

La conque de l’étang, vacillante prairie,

Entre ses nénuphars palpitait de rayons,

D’appels, de frôlements, d’ailes en féerie…

Du firmament noyé divaguaient des sillons.

 

Jusqu’au bout j’aimerai toutes ces beautés vives,

Ces forces, ces joyaux, ces élans, ces printemps.

Il faut que le jour soit, il faut que l’homme vive

Pour être leur témoin jusqu’à la fin des temps.

 

   Mais bien avant Brigitte,  c'est un ami chanteur, Jean-Louis Mongie, hélas disparu en mai 1978, qui avait mis en musique 2 textes de l'auteure, les déposant même à la SACEM.

Douleurs

 

 

Je suis tombée aux noirs abîmes des naufrages,

Un reflux de néant battant mon front mouillé.

Epave, j’ai roulé mes espoirs endeuillés

Dans des flots en furie où plus rien ne surnage.

Mes pauvres mains crispées, aveugles, tâtonnantes,

Ont longuement cherché la branche qui traînait,

Tronc, racine ou bien herbe que la vague emportait,

Rien ne voulait s’offrir dans l’horreur écumante…

Ne compter que sur soi, puiser aux sources même

D’une douleur sans nom qui vous fait vous noyer..

Ce serait le salut et là, l’espoir suprême…

Quand j’aurai bien croupi dans ces lies, ces carêmes,

Ces enfers dont les feux m’auront roussi le cœur,

Morte sera la bête, et morte ma douleur.

Mais un preux chevalier, sans épée ni armure,

Moderne magicien, m'a dit : »Ouvrez les yeux, voyez ! »

Voyez du jeune espoir, la si douce figure ».

 

25 avril 1967 – «En hommage à la noble personnalité de mon chirurgien»

Mis en musique et déposé à la SACEM par Jean-Louis Mongie en 1976 (sans la dernière strophe)

 

Le deuxième poème figure aussi sur le CD "Ballades champêtres", ce qui en fait le seul à bénéficier de 2 mises en musique différentes

Trop chanter nuit

 

Hulotte, dans son vieux château,

Son cher manoir héréditaire,

La nuit ne pouvait pas se taire

Et hululait un peu trop haut.

 

Son chant gêna le hobereau,

Acariâtre célibataire,

Qui, voulant rester solitaire,

D’un traître coup tira l’oiseau.

 

Tombée raide du vieil ormeau

Qui ne fut qu’un abri précaire,

Hulotte meurt dans la nuit claire

Dans un ultime soubresaut…

 

Epinglée telle un vieux tableau

Sur les murs du fatal repaire,

Empaillée et sachant se taire,

Mènera la vie de château !

7 Décembre 1967

Mis en musique par Jean-Louis Mongie, et par Brijou

 

Pour finir, il est temps de rendre hommage à une autre poétesse, Loïse d'Olt,  dont un texte, "Les marguerites",  figure dans le CD. Yvette et elle s'étaient rencontrées dans des Salons du Livre et elles avaient tissé des liens amicaux. Malgré son grand âge, c'est avec verve, talent et jeunesse d'esprit qu'elle a pu assurer le récital poétique organisé par Brigitte avec sa tante Margot  pour le Printemps des Poètes 2012 chez elle à Anglars-Juillac.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

En conclusion, redonnons voix à la poétesse Yvette avec ses vers d'introduction au recueil "Brasero", mis en page par sa fille. Elle n'osait se dire poétesse! Nous, nous osons le dire, même si son inspiration n'avait pu puiser que dans les seuls modèles qui avaient nourri son esprit dans son jeune âge. Son classicisme poétique

est passé de mode et la poésie contemporaine a largué les amarres!

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