Yvette Frontenac
1925-1998
écrivaine et poète de la terre lotoise
La poétesse
Yvette Frontenac a rencontré les poètes à l'école primaire qu'elle a dû quitter à 12 ans avec le Certificat d'Etudes. C'étaient les poètes classiques, Victor Hugo en tête car, dans les années 30, pas de poètes modernes au programme, même si les Surréalistes étaient bien vivants.
La forme poétique lui a parlé tout de suite et c'est en pensant aux beaux textes des grands anciens appris en classe que lui est né le premier poème, un jour d'hiver 1940 à l'âge de 15 ans.
Le chef d'état était alors le maréchal Pétain (hélas pour la France) mais c'est donc à lui que l'institutrice envoya le poème dans le cadre des activités de la société post-scolaire. Yvette reçut un mot de félicitations en retour.
La légende de Frontenac
Voulez-vous connaître l’histoire
D’un petit village lotois
Qui dort tranquille, que rien n’effare,
Posé dans les prés et les bois ?
Frontenac, d’après la légende ,
Par l’ennemi fut repoussé.
On le reconnut front tenace,
Et l’adversaire pourchassé
Mit l’épithète bien en place
Puisque nous l’avons conservé.
Il cachait toujours sa victoire
Parmi les bosquets verdoyants
Qui furent témoins de sa gloire
Pendant la Guerre de Cent Ans.
Mais aujourd’hui je vous la donne
Cette histoire longtemps cachée.
Que mon village me pardonne
Si je divulgue son secret.
Et quand j’entends la vieille cloche
Egrener ses sons sur les toits,
Je crois entendre comme un reproche
Dans cette bonne grosse voix.
C'est donc à la manière classique, celle qui avait éduqué ses jeunes oreilles, que furent composés la plupart de ses poèmes, et elle n'eut pas la chance de poursuivre des études qui lui auraient apporté une ouverture sur d'autres formes poétiques.
Elle regroupa la plupart de ses poèmes en deux recueils: Les Sabots verts et Brasero.
Jamais édités dans leur ensemble, beaucoup de ses textes furent publiés dans des magazines, comme "Les Bonnes Soirées" ou "Veillées des chaumières", périodiques des années 50-60, ou dans des bulletins de sociétés poétiques ou de Clubs des Aînés, et lui valurent quelques modestes prix.
L'un de ses poèmes eut même droit à plusieurs parutions: dans "Bonnes soirées" avec l'illustration ci-dessous en 1962, dans "Veillées des chaumières" en 61 ou 62 et il fut remarqué par l'association"Le petit épicier" à Paris grâce à son sujet traité avec humour. Il fut même publié beaucoup plus tard dans un Bulletin de la Sécurité Sociale, page reproduite ci-dessous.
C'est le séjour de 6 ans en Sologne, qu'Yvette vécut avec le mal du pays, qui déclencha le premier flot de poèmes
où elle épanchait sa nostalgie pour les paysages natals. Ce manque était si envahissant que son inspiration ne
fut jamais disponible pour des poèmes célébrant le pays d'accueil et ses beautés bien réelles aussi.
La complainte de l’ennui
Savez-vous de quoi je m’ennuie,
Si loin du pays que j’aime,
Et pour qui j’écris ce frugal poème?
Savez-vous de quoi je m’ennuie?
Je me languis de mon village,
Des prés, des bois, du vieux ruisseau
Qui babille sous les ormeaux.
Je me languis de mon village.
Je pense à la maison natale
Dressée sur cette vieille terre
Qui m’a nourrie comme une mère.
Je pense à la maison natale.
Je rêve à la petite église,
A la flèche de son clocher
Dont les sons viennent me hanter.
Je rêve à la petite église.
Rocailles grises, vieilles maisons,
Chemins pierreux du bourg natal,
Air si pur en toute saison…
Loin de vous, mon cœur a si mal…
La petite source
Petit Pesquier de mon village,
Enseveli sous les ombrages,
J’entends encore ton babillage
Si doux, si doux.
Entre deux rocs vêtus de lierre,
Tu nous arrives en grand mystère,
Puis un instant tu vas, tu erres
Tout doux, tout doux.
Au temps de mes jeunes années,
J’allais sous ta fraîche coulée
Remplir ma cruche éclaboussée
Tout doux, tout doux.
Et comme revient l’hirondelle
A son vieux nid toujours fidèle,
J’irai revoir ta cascatelle
Tout doux, tout doux.
Car toujours tu nous resteras
Chuchotant dans le vert feuillage
Et nous, toujours on t’aimera,
Petit Pesquier de mon village.
Paru dans Bonnes soirées en 1953
Après son retour dans le Lot, et tout au long de sa vie, elle continua d'écrire de nombreux poèmes toujours sur
son village, la nature, les saisons, des personnages ou des animaux; des poèmes pour ses enfants, pour des
gens de sa famille, notamment pour son beau-frère Aimé qu'elle affectionnait. Elle écrivait aux personnes
de sa famille et joignait souvent à sa prose un poème vite troussé.
Comme pour ses romans, elle pouvait mettre en scène des personnages réels du village, comme dans le suivant.
Zoé
Regardez-la passer, rentrant dans sa tanière,
Un monde de douleurs est inscrit dans ses yeux.
Chancelante et brisée, suant un air de vieux,
Elle revient du cimetière.
Ses pauvres petits pieds traînent dans le chemin,
Mais qu’importe. Il lui faut sa triste promenade,
Tant pis si dans l’effort, son cœur bat la chamade,
Si le bâton tremble dans sa main.
C’est qu’elle s’ennuie tant dans sa pauvre masure,
Depuis que, pour aller dormir sous les orties,
Tous ceux qu’elle a aimés un jour en sont sortis.
La mort lui mène la vie dure.
Pourquoi tant la frapper? pourquoi tout lui ravir?
Un époux, puis un fils, tous deux au plus bel âge,
Une fille aux beaux yeux qui était bonne et sage
Et qui n’est plus qu’un souvenir.
Elle a tant survécu avec ce glaive au cœur,
Tant pleuré, tant gémi dans cette solitude,
Qu’elle voudrait partir loin des vicissitudes,
Vers un monde qu’elle croit meilleur.
Personne ne l’attend, là-bas dans sa maison,
A quoi bon revenir toujours du cimetière
Quand on serait si bien, allongée sous la pierre,
Pour laisser couler les saisons?
1967
Fin de jour aux champs
La colline, là-haut, a mangé le soleil.
La plaine violacée où le brabant s’arrête
Suspend une fraîcheur à chaque front vermeil.
Le vieux chapeau déteint a libéré les têtes.
L’attelage embué souffle comme une forge…
Les peupliers, un à un, ont éteint leurs flambeaux.
L’engoulevent s’éveille, et le dernier corbeau
S’envole lourdement, gavé jusqu’à la gorge.
La chouette perchée sur le vieil orme grêle
Se laisse ébouriffer par la brise du soir.
Les bœufs n’ont pas besoin que l’homme les appelle
Pour marcher d’un pas sûr vers les frais abreuvoirs.
Et chantent les chemins sous les roues qui cahotent.
Dans l’ombre, tout le jour, froids comme des serpents,
Ils ont guetté Marie et son pied qui sabote,
L’homme qui, débraillé, revient de son arpent.
Au loin, quelques points d’or clignotent dans le noir…
Pour que demain, aux champs, on revienne se battre,
Une femme harassée s’active auprès de l’âtre
Et cueille l’écuelle aux flancs du vieux dressoir.
1989
Le doux chant de mon pays
Chante pour moi, beau causse fier,
Chante pour moi, si douce plaine,
Chantez tous deux, mes autrefois.
A travers vous, à perdre haleine,
Ont claqué mes sabots de bois.
En vous dorment tous mes hiers.
Ne dorment pas, veillent à peine.
Il me suffit d’un rien de peine,
Ils surgissent tous rajeunis,
Aussi loin que j’ai fait mon nid.
Jasez, ruisseaux, dans les aubiers,
Mes moulinets, j’y vois encore.
Mais il s’est tant levé d’aurores
Qu’au fil de l’eau s’en sont allés
Ma jeunesse et moulins ailés.
Flûtez, loriots, dans les peupliers,
Bruissez, moissons, sous le ciel tendre.
Voix du terroir, pour vous entendre,
J’en capte l’onde à tout moment,
C’est mon aura, mon firmament.
Bêlez, troupeaux, dans les pacages.
Vos visions, je n’ai point bannies,
Vos chères décalcomanies,
Plus colorées que des images,
Dans mes pensées restent en cage.
1968
Printemps
La jolie prime juvénile
Accourt en fleurs
Car le bonhomme hiver, sénile,
S’éteint et meurt.
Mars s’ébroue entre deux rafales
Et l’arc-en-ciel
Zèbre la nue qui se cavale
De ses pastels.
Le bourgeon fait pointer son arme
Sur le rosier,
La gouttière écrase une larme
Sur l’escalier.
Au sous-bois, dans le crépuscule,
Le merle fou,
Ivre d’amour, siffle et module
Ses billets doux.
Au Pesquier, mignonne sourcette,
Claire et menue,
Sait que pinsons, bergeronnettes
Sont revenus.
L’enfant glane la primevère,
Clochettes d’or,
Et l’hirondelle, messagère,
Reprend l’essor.
Partout naissent verdure tendre,
Joyeux babils,
Et partout le plaisir d’attendre
Le bel Avril.
1967
Laveuses d’antan
Sous les glauques auvents des saules prosternés,
J’ai voulu retrouver la rumeur des laveuses,
Le jupon retroussé des serves bienheureuses,
Toutes ployées d’amour sous le chapeau fané.
L’autan sème partout les relents du limon,
La plainte continue de la mourante écluse.
Dans ce souffle mouillé, pas un rire ne fuse
Ni l’écho d’un battoir de l’aval à l’amont.
Pas le moindre pied nu ne trébuche au gravier,
Un friselis furtif le caresse en silence,
Les caquets ne sont plus, les cris, les véhémences
Et les blancs étendards au bronze des osiers.
Sa majesté le Temps a fait fi du tableau:
Les femmes à genoux, l’onde fleurie d’écume,
La danse de leurs doigts sur le linge qui fume,
Le reflet clapotant de leur ombre dans l’eau.
Nul ne les reverra dans leur cour d’alevins,
Quand le mauve couchant réveille le moustique.
Relevées à jamais de leur pierre rustique,
Elles dorment, là-bas, dans leur repos divin.
1985
Rêverie de mes sabots verts
Je revois de «Gastou» les vastes solitudes,
La friche où mes salers paissaient nonchalamment,
La vigne à l’agonie et ses maigres sarments.
Si nous y vendangions, c’était par habitude.
J’avais seize ans alors: une riche insouciance
Claquait dans mes sabots, pétillait dans mes yeux.
Je me trouvais si bien sous le ciel du Bon Dieu!
Des laideurs de la vie je n’avais la prescience.
J’ignorais que ces jours tout remplis de gambades,
De rires étourdis, de jeux avec mon chien,
Embaumés par le temps seraient mon fief, mon bien
Où mon âme, en secret, ferait des escapades.
Evocation, tendres miroirs des souvenances,
Grâce à toi je revis de Gastou les soirées,
Où le soleil jouait sur la pomme moirée,
Sur le troupeau repus, figé de somnolence.
Il y avait les matins si beaux, pailletés d’or…
Lorsque j’avais trop chaud, j’entrais dans la cazelle.
Dans ses vétustes lieux aux fraîcheurs de chapelle,
Je rêvais. J’étais reine en ces frustes décors.
Tout parlait à mon cœur, j’aimais toutes ces choses:
Le ramier au «quizoul», le chanvre caillouteux,
Les vieux pommiers chenus, le champ de sainfoin bleu
Où Guinette, échappée, noyait son mufle rose.
Voilà pourquoi, souvent, tendresse ou habitude,
Je revois de Gastou les vastes solitudes.
1967
Premières couleurs au jardin
Un rose pétale
Floconne et s’étale
Sur le semis noir.
Le prunier épanche
Une fumée blanche
Comme un encensoir.
L’ail pointe vert pâle,
Le pois en spirale
Quitte le terroir.
La tonnelle apprête
Les rouges frisettes
De l’ampélopsis.
Glycine si mauve
A la branche fauve
Suspend ses lacis,
Tandis que violettes
Sèment gouttelettes
D’azur au massif.
Se meurt de languine
La lance sanguine,
Sous le gazon vert,
De dame Pivoine
Qui prie Saint-Antoine
D’occire l’hiver…
Là-bas, près du faune,
Mille crocus jaunes
Font un feu d’enfer…
Peintures nouvelles,
Fraîches aquarelles
Du jardin fleuri.
En voyant renaître
Ces tableaux de maître
En leur galerie,
Je dis «Que demeure
En arrêt cette heure,
Ah! prisme, souris!»
Félicitations particulières de la SPAF Midi-Pyrénées en 1977
La maison perdue
Chère Babel rêvant sur tes blanches murailles,
Tu as cousu sur moi cette cotte de mailles,
Tout un passé fervent impossible à bannir
De ton enfant têtu qui veut se souvenir.
J’ai dénoué mes doigts de ces trop tendres choses:
Ton toit bleu, ton ruisseau, ta glycine, tes roses,
Le noyer tout puissant prosterné sur ton seuil,
Ce jardin, cette cour dont j’ai porté le deuil.
Il fallut te quitter, céder ce havre à d’autres,
Accepter, désormais, qu’il ne soit plus des nôtres,
Et je m’en fus, traînant mes pas errants et seuls,
Aux portes qui s’ouvraient comme autant de linceuls.
En ces âpres exils égrenant mes journées,
Je ne pensais qu’à vous, terres abandonnées.
Vos clichés, en tissant mes songes intérieurs,
Jalonnaient de regrets mes multiples ailleurs.
Je vous appelle à moi, tous mes défunts bien-être,
Les visages chéris souriant aux fenêtres,
Attentifs à guetter mes rires ou mes pleurs,
Qui fusaient, emmêlés aux arômes de fleurs.
Grappillages furtifs autour de la groseille,
Acides bourrelets des liserés d’oseille,
Lourd relent des tabacs suspendus aux greniers,
Ambre des Reine-Claude, hymne des pruniers.
Et la lune cirant ta capuche d’ardoise,
L’effluve de tes prés, de foin coupé, d’armoise,
Tes grillons acharnés en leur félicité,
Tous ces bonheurs vivants, soudain, n’ont plus été…
Depuis, tête en avant, en ma course éperdue,
Je m’en vais cheminant sans la maison perdue.
Les poèmes ci-dessus sont tous extraits du recueil "Les Sabots verts" célébrant, comme on l'a vu, l'amour de son village et de ses décors, la nostalgie de sa jeunesse, la beauté de la nature et du changement des saisons, l'amour des animaux, des gens simples.
Yvette Frontenac aborda aussi d'autres thèmes, moins champêtres, et même urbains: les sentiments et émotions humains, l'amour, la séduction, la tristesse, l'amour maternel, les petits plaisirs de la ville....textes divers qu'elle regroupa sous le titre "Brasero".
Le vieux pauvre de ma jeunesse
II n'avait qu'un bissac troué
Qui lui pendait à la carcasse,
Un infâme mouchoir noué
De son cou ne cachait la crasse.
Le ventre creux comme un chemin,
Il allait par monts et par routes
Et s'il tendait sa vieille main,
D'avance il la savait absoute.
Suant le pou et le haillon,
Il errait comme chien qui rôde,
Habité d'espoirs de graillons,
Méticuleux de sa maraude.
Au revers de quelque talus,
L'oeil allumé par la ripaille,
Au son de bien des angélus,
Au quignon il livrait bataille.
La barbiche ondoyant au vent,
Il traînait sa philosophie,
Et c'était un enseignement
De le voir gai et sans envies...
Le temps un jour a emporté
Sur les ailes d'une déesse,
Hâve et fier de sa liberté / Ivre d'air et de liberté,
Le vieux pauvre de ma jeunesse.
1970 - Primé par la SPAF en 1977
Nuages
Où allez-vous, petits nuages,
Fiers et dodus comme des pages,
Aux joues rondes de chérubins
Lambins?
Où courez-vous si blancs, si sages
Sans peur des hommes ni des cages,
Au royaume des séraphins
Sans fin?
Où volez-vous, vers quels nuages?
Mais vous allez vous mettre en nage
Et ruisseler par tous vos plis
De pluie!
Restez ici, petits nuages,
Rengainez grêlons et tapages,
Floconnez et lutinez-vous
Chez nous!
Ma mie, si vous l’aviez voulu…
Ma mie, si vous l’aviez voulu,
Je ne me serais point pendu,
Belle dame des amours mortes.
Je ne me serais point pendu,
Il faisait bon à votre porte
Mais vous avez dit : « Qu’il en sorte ! »
Il faisait bon à votre porte
Quand l’amour me servait d’escorte
Pour venir baiser vos beaux yeux.
Quand l’amour me servait d’escorte,
Je sacrais : « Le diable m’emporte,
Je suis le plus riche des gueux ! »
Je sacrais « Le diable m’emporte »
D’une voix amoureuse et forte
Mais le diable m’a pris au mot.
Mamour, ma beauté si accorte,
M’avez trahi de telle sorte
Que j’ai pu monter à l’ormeau.
Mon œil ouvert, ma bouche torte
Et mon dernier soupir rendu
Font de votre amant un pendu.
1969- Primé par la SPAF Midi-Pyrénées en 1977
Cruelle absence
Un rien aura suffi, une odeur, un silence,
Des aîtres désertés,
Et retentit en moi cette cruelle absence
Qui me veut habiter.
Il suffit d’un objet qui traîne sur la table,
Tristement esseulé,
Pour que monte un sanglot à mon cœur misérable,
Toujours inconsolé.
Il a suffi d’un air siffloté dans la rue,
Quelques bribes de voix …
Ma peine sur mon seuil aussitôt est parue
En disant « Oui, c’est moi ».
Il suffit de si peu pour que viennent les larmes,
Un rêve, un peu de vent,
Et mon chagrin têtu jette au bonheur un charme
Qui lui fait paravent.
Il ne faudrait pourtant, pour que j’oublie ce pire
En mon cœur dévasté,
Qu’un atome d’espoir, et puis te voir sourire,
Et tout serait clarté.
Primé à la SPAF en décembre 1977
Les bonnes gens de ma ville
S’éveillent doucettement,
Les bonnes gens de ma ville,
Au boulot, presque gaiement,
Ils s’en vont d’un pas tranquille.
Ils bossent correctement,
Les bonnes gens de ma ville,
Méprisent le rendement
Qui fait faire trop de bile.
Agapent modérément,
Les bonnes gens de ma ville,
Les fins de mois, durs moments,
Sont carêmes inutiles.
Ils aiment passionnément,
Les bonnes gens de ma ville,
Point avares de serments,
Partout font besogne utile.
Se récréent divinement,
Les bonnes gens de ma ville,
Préfèrent l’amusement
A toute corvée servile.
Ils meurent si calmement,
Heureux de leur vie fertile,
Qu’ils vont droit au firmament,
Les bonnes gens de ma ville.
1968
Les amants
Ils vont séparément et sont toujours ensemble,
L’onde qui les unit est un même collier,
L’amour, au fil des jours, les retient prisonniers,
Les mêle, les confond et fait qu’ils se ressemblent.
A la face du monde, ils sont deux étrangers,
Ils passent, indifférents, raides et sans malice.
A leurs lèvres meurtries traînent des cicatrices,
Restes d’embrassements où ils furent plongés.
Le secret d’un bonheur qu’ils ne veulent point dire,
Mais que chacun connaît, le lisant dans leurs yeux,
Ils en font des baisers, divin plaisir des dieux .
Tant pis si des méchants, sur eux, veulent médire.
Amants qui vous aimez, vous vivez de chimères,
Vous vous laissez bercer entre leurs tendres bras,
Votre miel butiné aux fleurs de douce-amère
Ravive vos amours et les torturera.
Qu’importe si la vie au grand jour vous sépare !
Qu’importe le foyer où quelqu’un vous attend !
Depuis que votre amour a suspendu le temps,
Vous ne vieillissez plus dans votre tour d’ivoire…
Ils s’aiment, laissons-les, partons à pas de loup,
Ils ne s’occupent pas de nous…
Mes chattes gourmandes
Cinq heures ont sonné là-bas, au Chapitre.
Une envie leur vient, on s’étire un peu,
Le soleil couchant incendie la vitre,
C’est l’instant divin des gourmands heureux.
Leurs doigts, sautillant sur les porcelaines,
Font des entrechats aux envols gracieux.
De tendres sablés la boîte est si pleine,
La bouilloire chante à côté du feu.
Savourant le thé couleur de topaze
Comme le faisaient du nectar les dieux,
Un frisson gourmand sur leur blanc pelage,
Mes chattes ont fermé de plaisir les yeux.
Le sablé se meurt entre leurs quenottes,
Mais la pourvoyeuse en rachètera.
Aujourd’hui mourant, happé des menottes,
Demain dans la boîte, à l’heure il sera.
Mes chattes jolies, mes chattes gourmandes,
Avec des ronrons ont pris leur goûter.
1966- Pour mes filles
La belle et mon jardin
J’avais des fleurs plein mon jardin,
Des roses couleur de matin,
Des pivoines à chair de satin,
Tu n’avais rien, je t’ai dit « Viens !
Viens cueillir de tes bras câlins
Tous ces parfums sans lendemain,
Viens moissonner à pleines mains,
Toi qui n’as rien, la belle, viens ! »
Tu n’as eu que froid, que dédain,
Qu’un furtif regard anodin,
Tous mes efforts sont restés vains,
Filles n’aimant plus les jardins.
1967
Concert
Avec ses volets clos et ses sombres toitures,
Consciente et fatiguée de la tâche accomplie,
Heureuse de sombrer au repos, à l’oubli,
S’endort la sous-préfecture.
Phoebé au blanc regard jette un rai sur la place,
Des accords assourdis y vibrent par hoquets,
L’eau qu’argente la lune s’enfuit le long du quai,
Devant moi, un couple s’enlace.
Sans bruit, des ombres glissent sous les frais catalpas,
Un fugace reflet allume une trompette,
Là-bas, sous les lampions, le kiosque est à la fête,
L’harmonie s’apprête au combat.
Et les lents promeneurs qui font geindre le sable,
Un à un, doucement, sur le mur vont s’asseoir.
Une chauve-souris prospecte l’air du soir,
Les enfants sont insupportables.
On bavarde à mi-voix, on scrute les visages.
« Je ne le connais pas, qui est-il, celui-là ?
C’est quelque Parisien en vacances par-là…
Que ces enfants font du tapage ! »
La main du chef, soudain, d’un bref signal donné,
Libère enfin le flot qui déferle, magique.
Et coule l’harmonie sur le kiosque à musique,
Délicieusement suranné.
1967- Le kiosque est celui de Figeac bien sûr
Dernière page
« A la manière d’Anna de Noailles »
Un jour tout sera dit et je ne serai plus.
Je n’aimerai plus rien de tout ce qui m’a plu :
Les amours, la rosée, la bondissante flamme,
Le frais jardin verni qui parlait à mon âme.
Mon regard attentif aux robes des saisons
Ne reflètera plus le vert des frondaisons.
Mon cœur se fermera sur tout ce qui s’élance,
Le printemps chantera, moi je ferai silence.
Le ressort de mes doigts, au geste interrompu,
Se figera soudain. D’animation repu,
Reniera le bouquet peint de chaude nature,
L’effleurement câlin des jeunes chevelures.
Je n’écrirai plus rien au livre refermé,
Le mot fin me sera, par la mort, intimé.
J’aurai tout raconté, tout narré de l’histoire.
Qui aura su m’aimer percevra le grimoire.
Mon corps tout plein d’élans, de rêves, de désirs
Saura se conformer aux ordres de gésir.
Il s’en ira, drapé d’étoffes vulnérables,
Se fondre et devenir l’éternité des sables.
Ces arides néants me seront malaisés.
Ma bouche languira, peut-être, d’un baiser.
Puisse le Créateur qui me voulut si tendre
Permettre qu’au tombeau reste chaude ma cendre.
Texte lu à ses obsèques
Le petit garçon et l’arc-en-ciel
Je voudrais, maman, passer sous ce pont,
Ce pont rose et bleu qui zèbre la nue,
Je l’ai vu souvent dans le ciel, pendu,
Est-ce que je peux, dis, maman, réponds !
Mais oui, t’envoler, tu le peux, trésor,
En glissant sans bruit sur le char du rêve.
Jaillis du néant pour ta course brève
Tes chevaux seront des chimères d’or.
Je voudrais, maman, prendre les couleurs
De l’arche irisée qui peint les nuages,
Et t’en colorier de belles images.
Est-ce que je peux, sans être voleur ?
Je n’ai pas besoin des couleurs du ciel
Pour collectionner toutes ces merveilles.
Sur terre mes joies n’ont pas leurs pareilles,
C’est toi, mon enfant, mon bel arc-en-ciel.
Un dernier poème sur Figeac de la main même de l'auteur
Parallèlement à son métier d'enseignante, il se trouve que Brigitte, la fille cadette de l'auteur, pratiqua musique et chanson dès son adolescence, et mit en musique divers poèmes dont ceux de sa mère.
C'est donc tout naturellement qu'Yvette pensa à écrire un poème pour la sortie de ses romans. Ainsi fut fait en 1991, 1992 et 1993 pour les 3 premiers. Dans les années 90, Brigitte chantait dans un groupe de 2 garçons et 2 filles, Diapason, et ses amis l'aidèrent à arranger les textes mis en musique. Les voici.
Les années châtaignes
J’les ai serrées dans mes mains,
Mes trois années châtaignes,
Pendant ces hiers, ces demains
Tant que ma peau en saigne.
J’les ai tissées brin à brin
Comme toile d’araigne,
Avec une Line à tout crin
Qui m’était une enseigne.
J’les ai dansées dans l’entrain
Sans souci que j’enfreigne
Les lois d’la paille et du grain
Pour que vernis m’empreigne.
J’les ai trimées, c’est certain,
Oui ça pique, la châtaigne,
Est-il récent ou lointain
Ce passé où je baigne?
J’les ai pleurées dans les coins
Assez pour que j’en geigne,
De r’gret j’ai mordu mon poing,
Oublier, je dédaigne.
J’les tiens serrées dans ma main
Jusqu’à ce que mort daigne
V’nir faucher mon lendemain
Et que lampe s’éteigne.
La chantepleure
Souffle innocent qui berce l’heure,
L’enfant joue de la chantepleure,
Pauvre refrain des petits gueux
Qui rit tout en mouillant les yeux.
Il nous dit l’herbe vigoureuse,
L’arbre debout, la source heureuse,
Le temps des gaietés, des sanglots,
Nul n’en a remonté les flots.
Le sucre d’un fruit sur les lèvres
Et des joies les latentes fièvres,
Le raisin rond de jours vermeils,
Les sortilèges des sommeils,
Le maïs dont la plaine flambe
En parade sur une jambe.
Du rondeau des quatre saisons
Nous en chantonne les raisons.
Le son fluet pousse son rêve
Et le pipeau pleure sa sève.
Où sont partis ces airs légers
Que sifflaient les petits bergers?
Flûtes des enfances fanées,
Cendres de sons, cendres d’années,
Vous passez au vent comme un leurre,
Accords perdus de chantepleure.
Les poèmes en musique
Eléonore
Elle s'appelait Eléonore
Et son prénom vibrait sonore,
Tendre et joyeux
Sous les pans bleus de sa toiture
Où se nichaient les bons augures
Des gens heureux
Mais la Gorgone aux ailes noires
En voulant graver dans l'Histoire
Son nom hideux
La dépouilla sans crier gare
De son génie, de son dieu lare,
Coeur valeureux.
Dans les tourments de sa dérive
Où se blessait sa force vive,
Or glorieux,
Se posa, secourable abeille,
Sur les chatons de sa corbeille
La main d'un preux
Qui effeuilla la marguerite
En des je t'aime illicites
D'ambre et de feu
Assemblés en brûlants messages
Qu'elle parcourut page à page,
front radieux.
En dépit de tous les tonnerres,
Du fracas de toutes les guerres,
Vents furieux,
Elle demeura Eléonore
Et son aura subsiste encore
En nos cieux.
A la sortie du 4e roman, "Populo des Couronnes", l'auteur écrivit un autre texte, mais la musique ne suivit pas ..... Cependant, Brigitte souhaitait marquer les 10 ans de la disparition de sa mère et avec un nouveau pianiste rencontré via internet, Guillaume Wilmot, elle put sortir un CD avec des poèmes déjà mis en musique et quelques nouveaux. Ainsi les "Ballades champêtres" virent-elles le jour début 2009 grâce à des souscripteurs amicaux prêts à soutenir le projet. On peut y entendre une histoire contée en patois par Yvette elle-même.
Un des plus beaux textes d'Yvette Frontenac sur la nature figure dans le CD et la dernière strophe a été choisie par sa famille pour être gravée sur sa pierre tombale.
Beautés vives
J’ai vu l’aube rosir le front de la colline,
L’enfance du matin tituber dans le ciel,
La moire de l’iris s’abandonner, câline,
Au baiser du bourdon qui aspirait son miel.
L’angélus annonçait qu’il faut que l’aube naisse
Pour qu’un champ labouré chatoie dans le soleil,
Que l’enfant soit rieur et puis que l’agneau paisse
Et que monte au rameau la sève de l’éveil.
Un passereau sifflait dans un coin de charmille,
La palme d’un ormeau de bleu peignait la nue,
Le vent dodelinait la foule des ramilles
Et le ru chuchotait qu’il va, trotte-menu.
La conque de l’étang, vacillante prairie,
Entre ses nénuphars palpitait de rayons,
D’appels, de frôlements, d’ailes en féerie…
Du firmament noyé divaguaient des sillons.
Jusqu’au bout j’aimerai toutes ces beautés vives,
Ces forces, ces joyaux, ces élans, ces printemps.
Il faut que le jour soit, il faut que l’homme vive
Pour être leur témoin jusqu’à la fin des temps.
Mais bien avant Brigitte, c'est un ami chanteur, Jean-Louis Mongie, hélas disparu en mai 1978, qui avait mis en musique 2 textes de l'auteure, les déposant même à la SACEM.
Douleurs
Je suis tombée aux noirs abîmes des naufrages,
Un reflux de néant battant mon front mouillé.
Epave, j’ai roulé mes espoirs endeuillés
Dans des flots en furie où plus rien ne surnage.
Mes pauvres mains crispées, aveugles, tâtonnantes,
Ont longuement cherché la branche qui traînait,
Tronc, racine ou bien herbe que la vague emportait,
Rien ne voulait s’offrir dans l’horreur écumante…
Ne compter que sur soi, puiser aux sources même
D’une douleur sans nom qui vous fait vous noyer..
Ce serait le salut et là, l’espoir suprême…
Quand j’aurai bien croupi dans ces lies, ces carêmes,
Ces enfers dont les feux m’auront roussi le cœur,
Morte sera la bête, et morte ma douleur.
Mais un preux chevalier, sans épée ni armure,
Moderne magicien, m'a dit : »Ouvrez les yeux, voyez ! »
Voyez du jeune espoir, la si douce figure ».
25 avril 1967 – «En hommage à la noble personnalité de mon chirurgien»
Mis en musique et déposé à la SACEM par Jean-Louis Mongie en 1976 (sans la dernière strophe)
Le deuxième poème figure aussi sur le CD "Ballades champêtres", ce qui en fait le seul à bénéficier de 2 mises en musique différentes
Trop chanter nuit
Hulotte, dans son vieux château,
Son cher manoir héréditaire,
La nuit ne pouvait pas se taire
Et hululait un peu trop haut.
Son chant gêna le hobereau,
Acariâtre célibataire,
Qui, voulant rester solitaire,
D’un traître coup tira l’oiseau.
Tombée raide du vieil ormeau
Qui ne fut qu’un abri précaire,
Hulotte meurt dans la nuit claire
Dans un ultime soubresaut…
Epinglée telle un vieux tableau
Sur les murs du fatal repaire,
Empaillée et sachant se taire,
Mènera la vie de château !
7 Décembre 1967
Mis en musique par Jean-Louis Mongie, et par Brijou
Pour finir, il est temps de rendre hommage à une autre poétesse, Loïse d'Olt, dont un texte, "Les marguerites", figure dans le CD. Yvette et elle s'étaient rencontrées dans des Salons du Livre et elles avaient tissé des liens amicaux. Malgré son grand âge, c'est avec verve, talent et jeunesse d'esprit qu'elle a pu assurer le récital poétique organisé par Brigitte avec sa tante Margot pour le Printemps des Poètes 2012 chez elle à Anglars-Juillac.
En conclusion, redonnons voix à la poétesse Yvette avec ses vers d'introduction au recueil "Brasero", mis en page par sa fille. Elle n'osait se dire poétesse! Nous, nous osons le dire, même si son inspiration n'avait pu puiser que dans les seuls modèles qui avaient nourri son esprit dans son jeune âge. Son classicisme poétique
est passé de mode et la poésie contemporaine a largué les amarres!