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Les talents et les goûts d'Yvette Frontenac

Pour affiner le portrait de l'auteure, déjà esquissé à travers les chapitres précédents, on peut évoquer ce  qui l'intéressait particulièrement et les activités auxquelles elle s'adonnait avec plaisir, mise à part l'écriture bien sûr.

 

 

 

 

Yvette était un cordon bleu et adorait préparer de bons repas pour ses convives, proches ou amis. Sa cuisine familiale, abondante et délicieuse, était appréciée de tous. Elle privilégiait les recettes classiques apprises en famille et auprès de sa belle-mère Argile, une cuisine française et de terroir, avec fruits et légumes de saison et souvent du jardin. Ses desserts et entremets étaient succulents et inimitables: "pescajoune" (grosse crêpe paysanne), riz au lait, oeufs à la neige, merveilles, pets de nonne, tartes, clafoutis....

Elle n'appliquait jamais une recette à la lettre mais se fiait à ses souvenirs et son instinct et le résultat était toujours savoureux.

Au quotidien en famille, les repas étaient simples et bons, et elle avait à coeur de les tenir prêts pour le retour des siens du travail ou du lycée. Ses enfants  ont toujours un émouvant souvenir de ces bons moments partagés. C'était ainsi qu'elle exprimait le mieux son amour et son soin aux gens qu'elle aimait.

"Marie Miam Miam", telle était l'enseigne qu'elle avait imaginée pour créer une auberge à Frontenac avec petites tables sous les arbres, pause gourmande pour les touristes de passage. Son projet était resté à l'état de rêve bien sûr, car il demandait plus qu'un talent culinaire, mais elle avait fait un essai de quelques mois dans un petit restaurant de Figeac, essai non prolongé car les tenanciers ne s'étaient pas révélés à la hauteur de ses espérances pour une cuisine de qualité... Déçue, elle était donc revenue  à ses propres fourneaux !

Le revers de la médaille pour qui l'invitait à manger au restaurant, c'était la critique souvent sévère dont elle clôturait l'invitation!

Ses proches en faisaient souvent l'amère expérience! Mais telle  était Yvette et son sens culinaire....

 

 

 

 

 

 

 

Notre mère avait gardé de ses racines paysannes le savoir-faire pour s'occuper d'un jardin et des bêtes. On a vu qu'elle avait créé un jardin dans presque tous ses lieux d'habitation pour agrémenter sa cuisine de bons produits qu'elle transformait en délicieuses conserves pour l'hiver; à Taverly, elle avait aussi eu un poulailler,  un cochon et un troupeau de brebis, et à Frontenac, un poulailler et un grand jardin près du Lot. Notre père la secondait toujours mais c'est elle qui donnait les instructions compétentes. Elle avait même pratiqué le gavage des canards les premières années à Frontenac, ce que nous avions réussi à lui faire abandonner, ma soeur et moi, au nom de l'écologie qui avait conquis nos coeurs, premières écolos de la famille qui faisions naître bien des sarcasmes autour de nous! Les choses ont heureusement évolué depuis.... Elle savait bien sûr tuer une poule ou un lapin d'un main adroite, et préparer les poissons de rivière pêchés par notre père,  des gestes transmis à travers les générations mais que nous n'avions pas voulu adopter, filles ingrates!

La cuisine

Du jardin au poulailler

L'Histoire et les grands destins historiques

 

 

On peut penser que c'est à l'école de la République- celle de l'époque qui enseignait ce que l'on appelle maintenant le "roman national" et que l'on remet en cause désormais - qu'Yvette prit goût à l'histoire et que naquit son admiration pour les grands personnages  qui lui ouvraient l'esprit sur un monde prestigieux auquel elle n'aurait jamais accès, elle, la femme du peuple. Cette rêveuse  trouvait là le terrain idéal pour son imaginaire. Bien que votant à gauche, elle ne craignait pas la contradiction avec cet intérêt pour rois et reines, princes et princesses car ce n'était pas un intérêt politique!

Elle devint très tôt une fervente lectrice des revues Historia et Points de vue Images du monde, parution pour laquelle ses proches la taquinaient gentiment. Mais sa passion n'en avait cure! Elle aimait les reines sérieuses comme Elisabeth II, sa préférée, et elle n'appréciait pas la famille de Monaco et leur vie désordonnée.

Mais c'étaient les personnages du passé qui avaient sa préférence et elle lisait de ce fait beaucoup de biographies, notamment d'André Castelot ou Alain Decaux.  Quand on voulait lui faire un cadeau, on pensait à un livre sur Napoléon ou Marie-Antoinette pour ne pas se tromper. La famille royale de Louis XVI lui inspirait beaucoup de pitié pour leur destin tragique, notamment celui du petit prince.

Son admiration était forte pour la personne de Napoléon Bonaparte et même si on essayait de faire ressortir son image devenue négative, elle appréciait sa force, son ambition, son courage, ses amours et plaignait sa triste fin.

Elle se cultivait ainsi par ses lectures documentaires sur beaucoup de périodes historiques mais le personnage qui la fascinait le plus était l'impératrice Sissi et sa destinée unique, sa beauté, son conflit malheureux avec sa belle-mère qui lui retirait l'éducation de ses enfants, son indépendance un peu sauvage, ses malheurs et pour elle aussi, sa fin tragique.

Cet intérêt pour l'histoire confirme bien qu'Yvette avait le regard tourné ver le passé, tendance que l'on découvre déjà dans ses romans et ses poèmes.

 

Nous avons vu qu'elle lisait beaucoup de biographies et de livres d'histoire. Mais elle dévorait aussi une belle quantité de romans, et ce, depuis sa jeunesse aux champs. Son choix était varié mais ses préférences allaient là aussi vers des auteurs du passé récent. Jamais de littérature policière ou de science-fiction. Le fantastique, par contre, ne lui était pas aussi étranger car elle aimait les récits mystérieux comme, par exemple, l'aventure paranormale des deux professeures d'Oxford au petit Trianon de Versailles  ou l'histoire de l'abbé Saunière qui aurait trouvé le trésor des Templiers à Rennes-le-Château, tous deux à la fin du 19e. Elle nous contait ces histoires haletantes avec talent et nous l'écoutions, nous, ses enfants, avec passion, suspendus à ses lèvres.

Donc nous allons voir une partie de ce qui constituait la bibliothèque d'Yvette Frontenac.

* Elle adorait Colette et avait sans doute lu tous ses ouvrages, notamment les "Claudine", mais elle appréciait moins Françoise Sagan, si je me souviens bien. Pierre Benoît, Henri Bosco, Jean Giono, George Sand... figuraient sur ses étagères mais elle avait quelques titres de prédilection bien précis dont voici une liste non exhaustive: "Edmée au bout de la table" et "Edmée, la bague au doigt" d'Edmée Renaudin, "Nêne" d'Ernest Perrochon; "Mon amie Nane" de P.J.Toulet; Germaine Acremant et ses" Dames aux chapeaux verts"; "Le maître de forges" de Georges Ohnet; "Douce" de Michel Davet; "Le moulin du Frau" d'Eugène Le Roy. Mais le titre de ce dernier auteur qu'elle chérissait était "Jacquou le Croquant" qu'elle lisait et relisait à plaisir et qu'elle avait fait découvrir à ses enfants!

Il y avait aussi un titre qui la faisait beaucoup rire, titre sans doute oublié de tous: "L'oeuf et moi"de Betty McDonald, un classique de l'humour américain qui conte les déboires d'une avicultrice.

Lisait-elle les classiques tels Balzac ou Flaubert ou les poètes comme Rimbault ou Verlaine? Je ne saurais le dire car nos vies étaient le plus souvent éloignées. ... Notre mère prenait des livres à de nombreuses sources, comme tout le monde: ceux qu'elle achetait, ceux qu'on lui offrait, ceux qu'on lui prêtait, ceux qu'elle empruntait à la bibliothèque itinérante du canton et  à la Médiathèque de Figeac où elle était adhérente. Les poèmes d'Hugo, elle les connaissait, oui, mais ses romans?.... N'ayant pas bénéficié d'une scolarité lycéenne, elle suivait plus ses vrais penchants que les "must" de la culture classique.

On a retrouvé dans ses écrits la liste des livres pris au Bibliobus le 11 décembre 1987. Il y avait: Victor Hugo par Alain Decaux / Paysans bourguignons, par Henri Vincenot / Chez nous en Gascogne, par J. de Pesquidoux / Montand, par Jorge Semprun / La Reine Hortense, par le Duc de Castries / Michelle Morgan (autobiog.) / Dickens, par E. Johnson. Parlante, cette liste, n'est-ce pas ?

* En partie influencée par les études de littérature anglo-saxonne que je poursuivais, moi sa fille cadette, elle avait développé un goût pour certains auteurs féminins comme les soeurs Brontë, Emily et Charlotte,  ("Les hauts de Hurlevent", "Jane Eyre"); Daphné du Maurier (Rebecca), le roman historique "Ambre" de Kathleen Winsor et surtout le grand succès de Margaret Mitchell: "Autant en emporte le vent" dont elle avait lu les deux tomes une bonne dizaine de fois! L'héroïne, Scarlett O'Hara, dans la tourmente de la Guerre de Sécession et à la poursuite d'un amour impossible, avait le profil romanesque parfait sur le modèle de Sissi qui lui plaisait tant.

* Mais il y avait deux auteurs particuliers auxquels elle vouait un culte au point de  devenir abonnée au Bulletin de leurs Amis : "L'Amitié guérinienne". Il s'agissait de deux écrivains du 19e siècle: Eugénie de Guérin et son frère, le poète Maurice de Guérin. Elle possédait beaucoup d'écrits les concernant, dont le Journal d'Eugénie et des recueils de poèmes de Maurice. Comment avait-elle découvert leur existence? Peut-être à travers "Historia" mais l'histoire, là aussi plutôt dramatique, de ce frère et cette soeur la fascinait. Elle  s'était rendue plusieurs fois avec ma soeur Eliane au Château du Cayla, leur ancienne propriété dans le 81, comme en pèlerinage. Et le 19 juillet 1998, jour du 150e anniversaire de la mort d'Eugénie, elle nous demanda de l'amener à la Journée guérinienne en son honneur  qui se tenait dans le parc du Château. Malgré un bon repas servi dehors, la manifestation n'avait pas tout à fait répondu à ses attentes et elle était revenue déçue de cette  chaude et fatigante journée de son dernier été.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Yvette était une grande romantique qui trouvait que sa vie ne l'était pas assez et transférait son imaginaire sur des personnages entourés d'une aura exceptionnelle! Ce n'était pas une érudite universitaire, et la lecture était pour elle, outre le plaisir des mots des autres,  une évasion vers des vies brillantes bien que sombres,  une occasion de voyager à travers des existences et des temps historiques qu'elle mythifiait.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

*    Pour achever ce tour des lectures, on peut ajouter dictionnaires et vieux livres de classe dont elle s'entourait, pas de maths bien sûr mais de français et d'histoire qui lui rappelaient l'école dont elle avait la nostalgie. Elle aimait les MOTS, bénéficiait d'une belle mémoire pour les engranger, ce dont témoigne son style littéraire, et adorait voyager à travers ce monde magique. Voilà pourquoi elle aimait les jeux avec les mots, comme le scrabble.                     

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

* Son amour de la nature et des animaux- chiens et oiseaux surtout- faisait qu'elle ouvrait avec plaisir des ouvrages sur la faune et la flore, notamment ceux qu'utilisait sa fille aînée dans ses animations  nature pour l'éducation à l'environnement des jeunes.

 * La radio

Un des grands plaisirs d'Yvette, les après-midi qu'elle passait seule, était d'écouter les programmes de la radio, essentiellement France Inter ou parfois Europe 1. Dans les années 70/80, elle se régalait de la voix de Gérard Sire, et plus tard de Claude Villers, et puis Pierre Bellemare sur l'autre station. Et l'émission qu'elle n'aurait ratée pour rien au monde était Le Jeu des Mille Francs que toute la famille écoutait en mangeant. La radio était la compagne précieuse de ses moments de solitude de mère au foyer quand elle avait une tâche  contraignante, couture ou repassage. Elle s'était même aventurée, au début des années 70, dans la participation à un jeu de Bellemare dont la finale se passait à Paris où elle avait retrouvé Eliane après avoir été sélectionnée à Figeac.  Elle n'avait pas gagné sans doute car le souvenir familial s'en est estompé...

La réparation de postes de radio avait été l'activité professionnelle de notre père au début de leur vie conjugale et la présence de l'appareil au foyer très tôt l'avait sans doute familiarisée avec son usage, elle qui n'était pas branchée technique.

 

 

 

* La chanson

On a vu dans sa biographie qu'elle avait une jolie voix naturelle et qu'elle aimait chanter. Elle n'avait jamais étudié la musique mais avait déjà beaucoup chanté dans sa jeunesse. La famille Pélissié terminait tout repas de fête par des chansons et son mariage l'avait fait entrer dans une autre famille de bons chanteurs. Elle ne connaissait pas la musique classique et ne s'y intéressait pas plus que cela, au contraire d'Edmond, mais elle ne dédaignait pas de beaux airs chantés par Mady Mesplé, Colette Dereal ou Mado Robin. Et puis les chorales lui avaient ouvert un espace musical nouveau.

Par contre elle appréciait la chanson à travers l'écoute de la radio, et son chanteur et acteur préféré de charme était Yves Montand, et entre autres sa chanson "La bicyclette". Elle aimait certaines chansons en particulier et je me souviens qu'en famille, on avait beaucoup aimé avec elle plusieurs titres: "Tisserand"" d'Yves Duteil,  "Quand je vois passer un bateau" de Guy Bontempelli et les chansons de la chanteuse Eva dont "Où s'en vont mourir les rêves?". Et la dernière année de sa vie, elle m'avait dit qu'elle aimait beaucoup la chanteuse Maurane.

  * Le cinéma

Elle faisait partie des gens de sa génération qui avaient beaucoup fréquenté le cinéma dans leur jeunesse mais qui n'appréciaient pas autant  le cinéma contemporain que celui des années 40-50. Pas plus que du nouveau roman en littérature, elle n'était amatrice des films nouvelle vague.

Sa star préférée, et qui chantait superbement aussi, était Danielle Darrieux. Elle appréciait Bourvil mais pas du tout Louis de Funès, par exemple... Mais elle avait quand même plaisir  à aller encore parfois au cinéma ou à suivre un film sur le petit écran.

 

 

* Le chant choral

Comme on l'a vu plus haut, Yvette l'a pratiqué pendant de longues années avec son époux Edmond, elle comme soprano, lui comme basse, dans 2 chorales: la Chorale des Aînés de Figeac, sous la direction de Françoise Fabre, et la Chorale de Bagnac sous la direction de la jeune cheffe Catherine Lemouzy. Elle avait même participé au concert donné à Bagnac pour la Ste Cécile le dimanche 22 novembre 1998, la veille même de sa mort brutale.

                              

La lecture

Autres loisirs

(logo 1985)

(années 80)

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Commentaire écrit par Yvette au début de l'ouvrage "Le périlleux amour de Maurice de Guérin" de Eric Lugin (1944)

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  * "Et Dieu, dans tout ça?", comme aurait pu dire Jacques Chancel...

La famille d'Yvette ne faisait pas partie des "grenouilles de bénitier" et leurs rapports avec la religion étaient faits de méfiance et de doute. L'histoire particulière de la grand-mère Dorothée avec un serviteur de Dieu connu pour son étroitesse d'esprit et son traditionalisme extrême [cf.le roman Eléonore] en était la cause et les avait tenus un peu éloignés d'une pratique asservissante. Ils étaient devenus critiques envers les prétendus représentants du Divin sur terre et avec la structure figée de l'Eglise. Puis, au contraire, plus tard dans les années 50 , était venu un prêtre jeune et moderne mais qui ("ça se disait"...) aimait fréquenter certaines dames du village, ce qui là non plus ne donnait pas une image acceptable de l'Eglise dans une communauté conservatrice.

Yvette avait hérité de cette vision critique envers le clergé, mais comme beaucoup de membres de sa famille, avait sans doute conservé en son coeur une certaine foi confuse héritée de la société paysanne. Elle avait donc quitté à l'âge  adulte toute pratique fréquente mais la famille avait gardé les pratiques catholiques habituelles, baptême, communion solennelle, etc. Toute cérémonie s'accompagnait donc d'une messe, de la naissance à la mort, en passant par le mariage, d'autant que c'était naturellement l'oncle Loulou, devenu prêtre, qui se chargeait de l'office! Cela donnait à l'événement un aspect autant familial que religieux et peu remettaient la pratique en question! Cela allait bien sûr changer avec les générations suivantes et déjà avec notre frère, devenu un rationaliste intransigeant.

Yvette s'était de plus mariée dans une famille de gauche puisque pépé Alphonse avait été longtemps maire communiste de Frontenac dès après la guerre, famille Durand  où la religion était plutôt un sujet de plaisanterie. Et la vocation de Loulou était apparue d'autant plus étrange....

Yvette, sans doute autant poussée par l'ennui que par la foi, avait une saison donné des cours de cathéchisme à Figeac, ce qui nous avait étonnés, nous ses enfants, ne la sachant pas très adonnée à la prière et la méditation. Cela n'avait pas duré heureusement car je trouvais que le rôle ne lui allait pas!

Et nous l'avons enterrée religieusement, ainsi que notre père 7 ans plus tard, car c'était un voeu tacite de l'une comme de l'autre.

Nul ne connaît le secret  d'une âme mais je crois que celle de notre mère était plus proche du Divin que l'on pensait et qu'elle avait un grand besoin de transcendance.

Voilà pourquoi je lui avais fabriqué une photo à ma façon maladroite à partir de la croix du monument aux morts qu'elle avait devant les yeux tous les jours à Frontenac, en partie avec un petit sourire au coin des lèvres mais aussi parce que j'espère qu'elle a retrouvé la Joie sur l'autre rive. Oui, car moi aussi, j'espère...

 

 

 

 

 

 

 

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